- HILLIER Amy, "Invitation to Mapping : How GIS Can Facilitate New
Discoveries in Urban Planning", in
Journal of Planning History, vol. 9, no. 2, 2010, pp. 122-134.
- BAILEY Timothy J., SCHICK James B. M., "Historical GIS : Enabling
the Collision of History and Geography", in Social Science Computer Review, vol. 27, no. 3, 2009, pp.
291-296.
Dans ces trois
différents articles, les auteurs tentent de faire comprendre aux historiens
l'intérêt que peuvent avoir les Systèmes d'Informations Géographiques (SIG)
pour le développement de la science historique. Pour ce faire, les quatre
chercheurs à l'origine de ces écrits, qui sont tous des professeurs d'histoire
ou de géographie au sein de grandes universités américaines, découpent leurs
présentations en trois phases distinctes. Pour commencer, on trouve généralement
une entrée en matière qui se propose de montrer les objectifs de ce nouvel axe
de recherche, toujours en insistant bien sur l'importance de l'aspect spatial
dans l'histoire. Ensuite, dans un deuxième temps, chaque chercheur propose des
applications de ce modèle de recherche au travers de différents exemples qui
peuvent être tirés de leurs propres travaux ou bien d'autres chercheurs. Enfin,
pour conclure leurs articles, les auteurs finissent par présenter leurs visions
de l'avenir quant aux prochaines avancées de l'histoire qui, grâce à
l'utilisation des SIG, semblent bien pouvoir prendre un nouveau tournant.
Ici,
en connectant les trois articles entre eux, nous suivrons donc un plan
similaire pour reprendre l'argumentation des auteurs d'un point de vue
critique.
- Les
objectifs des "Historical GIS"
Dans
les trois articles, toute une part de la démonstration insiste sur le lien
entre le temps et l'espace, entre l'histoire et la géographie. En effet, comme
le signale Loren Siebert, les hommes occupent l'espace qui constitue leur cadre
de vie et il est donc normal que l'histoire humaine porte son intérêt sur cet
environnement en comprenant une dimension spatiale. Dans son cas, Siebert
ajoute que cela est particulièrement vrai pour l'histoire urbaine et notamment
pour la ville de Tokyo sur laquelle se sont penchés ses travaux.
D'ailleurs,
Amy Hillier fait le même constat et déplore le fait que, jusque ici, les
historiens ont souvent refusé d'utiliser des cartes dans leurs recherches.
Ainsi, lorsqu'elle regarde les articles parus dans une revue américaine
d'histoire urbaine, elle constate que les articles qui utilisent des cartes
sont peu nombreux (seulement 1/3). De surcroît, une bonne partie des cartes
employées sont en réalité des documents réutilisés et non des cartes créées
pour l'étude en question. A cela, il faut encore ajouter que rares sont celles qui
sont le fruit d'un SIG. Selon Hillier, ce rejet s'explique en partie par le
lien qui existe entre ce mode de traitement des données et l'histoire
quantitative qu'une partie des historiens rejette. Pour eux, ce mode de
traitement de l'information ne correspond pas à ce qu'on attend traditionnellement
d'un historien qui devrait s'exprimer par la voie de la littérature et énoncer
explicitement ses sources. Cependant, pour la chercheuse, ce rejet est plutôt
le fruit d'une méconnaissance des SIG de la part des historiens qui, au cours
de leurs cursus, ne sont guère formés à cela.
Face
à cela, pourtant, ces différents chercheurs tentent de montrer que les SIG
peuvent avoir toute leur place dans la science historique. Loren Siebert dit
pourtant ne pas avoir ouvert la voie de ce changement. En effet, dans son
travail sur Tokyo, il s'inspire en réalité de travaux réalisés auparavant et
cite plusieurs atlas historiques évoquant le développement urbain de la
capitale japonaise. Malgré cela, ces travaux, déjà anciens, s'ils utilisaient
des cartes, ne bénéficiaient pas de l'avancé que constituent les SIG. En fait,
le chercheur souhaiterait à son tour constituer une sorte d'atlas historique
mais celui-ci aurait l'avantage d'être électronique et pourrait donc être
accessible via internet.
Face
au constat négatif dressé plus haut, les différents historiens ne souhaitent
pas abandonner. Ainsi, Amy Hillier, dans son article, présente les avantages
que peuvent avoir les cartes émanant des SIG dans le cadre d'une étude. Bien
entendu, le support cartographique permet d'abord à l'historien de rendre plus
explicite son propose. En effet, lorsqu'on évoque des faits qui prennent place
dans l'espace, il paraît nécessaire voire indispensable de les replacer dans
leur environnement et, de cette manière, de les contextualiser. Pour autant,
l'utilisation des SIG peut permettre d'aller encore plus loin. En traitant les informations
insérées dans la base de données, la carte produite par un SIG peut permettre
d'analyser une situation difficile à entrevoir autrement et, ainsi, de tirer
des conclusions. De cette manière, plus qu'un simple support de l'argument, la
carte devient un argument et fait partie intégrante de la démonstration. Pour
cela, l'historien doit jouer avec les différents "attributs" de la
carte en faisant, tour à tour, apparaître et disparaître des informations.
Parfois, il faut faire de nombreux essais avant d'obtenir le résultat souhaité.
En cela, l'historien doit faire appel à des compétences inhabituelles pour la
discipline puisqu'il faut non seulement être capable de créer des cartes
efficace mais aussi d'en "extraire le sens" en l'interprétant
correctement. Une fois ce travail effectué, il devient possible pour
l'historien de retourner à la forme narrative traditionnelle en expliquant
verbalement l'idée qu'il souhaite avancer.
Bailey
et Schick ont une approche similaire sur le sujet car, selon eux, le traitement
des données permis par les SIG permet de dépasser les analyses classiques,
notamment par le biais d'une visualisation graphique. En fait, grâce aux SIG,
l'histoire quantitative peut devenir beaucoup plus explicite.
- Mise
en pratique
Pour
prouver ce qu'ils avancent, les différents auteurs ont fait le choix de donner
des exemples pour lesquels l'utilisation des SIG permet clairement d'avoir une
nouvelle approche du sujet étudié. C'est notamment le cas pour Loren Siebert
qui, dans son article, prend l'exemple de l'histoire urbaine de Tokyo sur
laquelle il a énormément travaillé. Etant né dans la capitale japonaise, ce
chercheur américain admet en fait être lié affectivement avec cette ville sur
laquelle il existe une documentation relativement abondante.
Avant
de se plonger dans la présentation des cartes qui ont été le fruit de son
travail, le chercheur consacre une bonne partie de son article à dévoiler
quelle a été sa méthode. Tout au long de ses recherches, il a été confronté à
bon nombre de situations dans lesquelles il lui fallait faire un choix. Cela
est d'abord vrai quant au choix du logiciel adapté pour son étude. Après avoir
présenté les caractéristiques que doit comprendre un bon logiciel, le chercheur
se lance ensuite dans une présentation assez technique des différents types de
logiciels qui existe (vector GIS, raster GIS et image-processing software). En ce qui le concerne, Siebert a choisi
un logiciel appelé Maptitude.
Cependant, il précise qu'il est important que chaque chercheur adapte son choix
à ses besoins, ce qui exige néanmoins une bonne connaissance préliminaire de
ces outils. La difficulté suivante réside dans la complexité qu'il existe
parfois à trouver des cartes adaptée à un sujet. Cela est particulièrement vrai
pour les sujets qui traitent de périodes anciennes, périodes pour lesquelles les
cartes sont moins nombreuses et de moins bonne qualité.
Ensuite,
l'historien doit se lancer dans la récolte et dans la saisie des données. Si la
première partie de cette tâche est habituelle dans le cadre de la recherche
historique, la seconde est en revanche beaucoup plus fastidieuse pour des
historiens non formés à ces pratiques. C'est d'ailleurs ce que souligne
l'ensemble des articles présentés ici. A chaque fois, cette phase du travail
prend énormément de temps, ce qui peut d'ailleurs parfois dissuader certains
historiens à se lancer dans un tel chantier. Concernant Siebert, il lui a fallu
pas moins de deux ans pour achever la création de sa base de données sur Tokyo.
Ici,
nous parlons bien sûr de données géographiques que Bailey et Schick s'attardent
à définir dans leur article. La différence par rapport à la donnée
traditionnelle simple est qu'elle est référencée dans l'espace. En fait, pour
chaque donnée, qu'elle soit quantitative ou qualitative, correspond une
dimension spatiale permettant de la situer. Pour cela, les auteurs reviennent
sur la différenciation qu'il existe entre les différents types de SIG,
différenciation que nous avons déjà abordé plus haut en évoquant l'article de
Siebert.
Une
fois que ce travail est fait, l'historien peut se lancer dans la création de
cartes. Pour cela, il lui faut sélectionner les données qu'il souhaite faire
apparaître en fonction de ses besoins et de ses attentes. Ensuite, il doit
encore choisir la manière donc les choses doivent être représentées sur la
carte. Ainsi, nous l'aurons compris, l'historien est là encore confronté à
toute une série de choix qui ne sont jamais neutres et qui influent sur le
cours de la recherche. D'ailleurs, Siebert insiste bien sur le fait que
l'historien est contraint de faire des choix mais que d'autres voies sont
parfois possibles.
Concernant
les exemples apportés par les auteurs, ils sont plus ou moins bien explicites.
En la matière, les cartes réalisées par Loren Siebert par Tokyo sont les plus
clairs ou, du moins, les mieux expliquées. Chacun des auteurs précise que cette
phase du travail a l'avantage d'être beaucoup plus rapide que les précédentes,
ce qui fait tout l'intérêt de l'utilisation des SIG. En effet, une fois les
données rentrées, la réalisation des cartes est montrée comme assez simple.
Dans le cas de l'article de Siebert, l'auteur explicite, dans une première
carte, le développement qu'a connu le port de Tokyo au cours du XXème siècle.
Grâce à la carte, on y aperçoit très nettement les différentes phases de
croissance du port par le biais de divers aménagements, une croissance que
l'auteur explique ensuite par la direction des axes maritimes.
Siebert
présente encore trois autres cartes par lesquelles il montre bien l'intérêt que
peuvent avoir ces représentations cartographique pour développer une
argumentation en histoire. Amy Hillier, quant à elle, reprend dans son article
les travaux réalisés par un autre historien spécialiste de l'histoire urbaine
(Du Bois). Cependant, celui-ci, dans son ouvrage de 1896 n'avait pas utilisé de
carte pour représenter la mixité sociale dans la ville de Philadelphie. Par son
exemple, Hillier montre bien l'intérêt que peut avoir une carte pour appuyer
une démonstration et pour rendre un exposé plus explicite. Bailey et Schick,
quant à eux, se contentent de citer une multitude d'auteurs utilisant des SIG
et des cartes dans leurs écrits. La preuve avancée en faveur l'efficacité des
cartes dans la démonstration est donc beaucoup moins flagrante puisqu'il est
ici nécessaire de connaître tous ces auteurs.
- Un
nouveau tournant de l'histoire ?
Loren
Siebert, avant d'annoncer les perspectives prometteuses que présente
l'utilisation des SIG en histoire, commence par montrer quels sont les
avantages et les inconvénients de cette nouvelle méthode historique. Selon lui,
il semble évident que les SIG s'affirment comme le meilleur moyen de créer une
mémoire de l'environnement humain. De plus, l'utilisation de cet outil oblige
encore davantage les historiens à rechercher des matériaux solides pour construire
leurs démonstrations. En effet, il leur faut des informations de qualités pour
construire les cartes de qualité. Enfin, contrairement à ce qu'ont pu laisser
penser certains, cette manière d'argumenter ne se fait pas sans la référence
aux sources. Au contraire, la constitution de la base de données permet aussi
de rassembler et d'organiser les métadonnées, c'est-à-dire l'ensemble des
informations liées aux sources des données. Les SIG s'inscrivent donc
pleinement dans la démarche historique.
Pour
ce qui est des inconvénients de cette méthode, Siebert rappelle à nouveau que
ce procédé est très couteux en temps. Ainsi, il n'hésite pas à dire que, pour
certains sujets, la méthode traditionnelle peut être plus efficace pour la
démonstration et que, par conséquent, l'emploi des SIG n'est pas toujours
adapté. De surcroît, le chercheur ajoute que, bien que cet outil soit
extrêmement puissant et efficace, rien ne sera jamais plus performant que le
cerveau humain, lui seul capable d'organiser la démonstration. Avec les SIG, ce
qui est intéressant, c'est l'aspect interactif apporté par un maniement peu
banal des données.
Amy
Hillier pense de son côté que, si les SIG ne bouleverserons pas l'histoire, ils
peuvent apporter des avancées conséquentes. Grâce à eux, le discours historique
peut se diversifier et s'enrichir. De plus, cela peut permettre l'apparition
d'un nouveau terrain d'entente entre les différentes sciences sociales, en
particulier entre l'histoire et la géographie.
Bailey
et Schick sont ceux qui vont le plus loin dans l'énonciation des perspectives
du développement de cet outil. Pour eux, les SIG "ouvrent un
boulevard" aux historiens et aux géographes qui vont pouvoir nous en dire
beaucoup plus sur le passé. Au final, nous pourrions peut être bien en savoir
plus sur une époque que les individus qui y vivaient.
Pour
autant, malgré toute ces belles perspectives, Amy Hillier souligne que nous en
sommes encore loin puisque, jusqu'à présent, les SIG demeurent peu utilisés par
les historiens. Selon elle, un certain nombre d'avancées doivent se faire pour
permettre un développement de cette pratique chez les historiens. Tout d'abord,
il faut que les données utilisables, notamment en termes de carte, soient plus
abondantes. De plus, il est impératif que les étudiants en histoire soient
formés à utiliser les SIG. D'un autre côté, les éditeurs peuvent aussi jouer un
rôle encourageant la publication d'articles qui utilisent des cartes. Il faut
aussi qu'ils fassent le choix de cartes de qualité notamment en favorisant les
cartes polychromes qui sont beaucoup plus efficaces. Enfin, d'une manière
générale, les historiens doivent changer la vision qu'ils ont des SIG. La carte
ne doit en aucun cas être assimilée à l'histoire quantitative puisque les
données qualitatives ont également leur place dans ce mode de traitement des
informations. De la même manière, les historiens ne doivent pas voir les cartes
uniquement comme une illustration mais bien comprendre qu'elles peuvent avoir
force de proposition et entrer dans le processus démonstratif, au même titre
que tout autre document. En revanche, l'historien doit conserver son recul
critique et toujours se questionner sur les intentions et les buts d'une carte.
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