Los Angeles en 1868 : le
panorama photographique nous restitue le paysage de l’époque : le bâti
apparaît disparate, peu organisé. Individuellement, les constructions possèdent
deux étages au plus. La campagne et la ville s’interpénètrent et le réseau
viaire n’est pas clairement apparent. Bien qu’aucun personnage ne soit visible
sur ce montage photographique, on imagine une population peu dense affairée à
des besognes essentiellement manuelles.
Dans la même rue de Broadway, un
panorama de 1905 révèle un visage bien différent : la densité de
constructions est beaucoup plus importante, les vestiges de la campagne ont
disparu, les immeubles ont généralement plusieurs étages et les rues
rectilignes structurent l’espace urbain. Au premier plan et au dernier étage
d’un immeuble, une fabrique de meubles annonce sa présence en lettres peintes
sur le mur. Bien que quelques silhouettes soient visibles, c’est encore le bâti
qui s’impose.
Mais veut-on une représentation
encore plus réaliste de l’urbanisme de Los Angeles ? Il suffit de se
tourner vers un modèle réduit datant des années 1939-40, réalisé au 1/120°. Nous
avons alors l’impression d’être encore plus proche de la ville d’il y a 75 ans.
Chaque bâtiment est individualisé et on peut même essayer de visualiser la
perspective qui s’offre au piéton situé dans un endroit précis.
Tout ceci est bien joli, mais une
ville ne se réduit pas à son urbanisme. Qu’en est-il des gens qui l’occupent,
de l’évolution de leur démographie et de ses différentes composantes, par exemple ?
Le site fournit à ce sujet d’intéressantes cartes animées représentant les
pourcentages des populations afro-américaine, hispanique, asiatique,
blanche : l’extension de la première catégorie et la diminution de la
dernière sont frappantes sur la période 1940-1990. Cette visualisation est une
autre forme de représentation de données quantitatives au travers des résultats
de recensements.
La connaissance des aspects sociaux
est par ailleurs partiellement restituée par une autre animation cartographique
figurant la valeur moyenne des maisons en fonction de leur secteur
d’implantation. Entre 1940 et 1990, la montée du contraste entre la
gentrification des faubourgs et l’appauvrissement du centre s’impose.
L’interpénétration du temps et de
l’espace saute aux yeux également dans une carte portant les différentes
structures administratives dont la date de création est stipulée. Cette
restitution du découpage territorial en fonction du temps donne une nouvelle
image de la ville, organisme en permanente évolution.
Le site de Philip J. Ethington
apporte ainsi un savoir riche et diversifié sur l’évolution de la ville de Los
Angeles en mêlant informations écrites et supports visuels de différentes
périodes et de natures différentes (photos, plans, dessins, vidéos, montages).
Pour autant, il s’agit aussi pour lui d’un prétexte pour réfléchir à la difficulté
qu’il y a construire un savoir historique sur la ville.
Ces représentations du passé sont en
effet ici médiatisées par des supports visuels mais toute connaissance
historique des villes emprunte un support qui peut tout aussi bien être un
écrit, une photo, un dessin ou un objet. Dans tous les cas, la
« réalité » du passé est une reconstruction. Même le photographe
adopte, au sens strict, un point de vue. Et l’objet lui-même est privé de son
contexte. Nous n’avons accès à l’histoire urbaine qu’au travers d’informations
situées dans le présent, reconstruites ou mutilées. Et pour certaines, les
témoins ont disparu.
Une autre difficulté de cette
discipline réside dans la complexité de la ville. Comment restituer un savoir
global compte tenu de la multitude d’approches possibles : spatiales,
sociales, démographiques, industrielles, administratives, politiques,
etc. ? Le problème est encore rendu plus ardu dans la mesure où chacune de
ces représentations évolue en permanence. La question de l’échelle à adopter
est un autre paramètre qui apporte une autre dimension, à la fois réelle et
imagée, de la gamme des positions offertes à l’observateur et à l’analyste.
L’entreprise d’histoire urbaine ne
peut donc être que partielle, voire partiale, au sens où elle est tributaire du
choix des media qu’elle emprunte pour représenter son objet. Ne serait-elle
donc qu’un discours si on suit le courant impulsé par le « tournant
linguistique » ? L’auteur du site émet l’hypothèse qu’un certain
savoir cohérent est néanmoins possible, notamment au travers de la
cartographie. Cela peut aussi signifier qu’il n’existe pas une représentation
mais une multiplicité, chacune portant une part de vérité.
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