Saturday, October 31, 2015

Los Angeles et la question de l’histoire urbaine



Los Angeles en 1868 : le panorama photographique nous restitue le paysage de l’époque : le bâti apparaît disparate, peu organisé. Individuellement, les constructions possèdent deux étages au plus. La campagne et la ville s’interpénètrent et le réseau viaire n’est pas clairement apparent. Bien qu’aucun personnage ne soit visible sur ce montage photographique, on imagine une population peu dense affairée à des besognes essentiellement manuelles.
Dans la même rue de Broadway, un panorama de 1905 révèle un visage bien différent : la densité de constructions est beaucoup plus importante, les vestiges de la campagne ont disparu, les immeubles ont généralement plusieurs étages et les rues rectilignes structurent l’espace urbain. Au premier plan et au dernier étage d’un immeuble, une fabrique de meubles annonce sa présence en lettres peintes sur le mur. Bien que quelques silhouettes soient visibles, c’est encore le bâti qui s’impose.
Mais veut-on une représentation encore plus réaliste de l’urbanisme de Los Angeles ? Il suffit de se tourner vers un modèle réduit datant des années 1939-40, réalisé au 1/120°. Nous avons alors l’impression d’être encore plus proche de la ville d’il y a 75 ans. Chaque bâtiment est individualisé et on peut même essayer de visualiser la perspective qui s’offre au piéton situé dans un endroit précis.
Tout ceci est bien joli, mais une ville ne se réduit pas à son urbanisme. Qu’en est-il des gens qui l’occupent, de l’évolution de leur démographie et de ses différentes composantes, par exemple ? Le site fournit à ce sujet d’intéressantes cartes animées représentant les pourcentages des populations afro-américaine, hispanique, asiatique, blanche : l’extension de la première catégorie et la diminution de la dernière sont frappantes sur la période 1940-1990. Cette visualisation est une autre forme de représentation de données quantitatives au travers des résultats de recensements.
La connaissance des aspects sociaux est par ailleurs partiellement restituée par une autre animation cartographique figurant la valeur moyenne des maisons en fonction de leur secteur d’implantation. Entre 1940 et 1990, la montée du contraste entre la gentrification des faubourgs et l’appauvrissement du centre s’impose.
L’interpénétration du temps et de l’espace saute aux yeux également dans une carte portant les différentes structures administratives dont la date de création est stipulée. Cette restitution du découpage territorial en fonction du temps donne une nouvelle image de la ville, organisme en permanente évolution.
Le site de Philip J. Ethington apporte ainsi un savoir riche et diversifié sur l’évolution de la ville de Los Angeles en mêlant informations écrites et supports visuels de différentes périodes et de natures différentes (photos, plans, dessins, vidéos, montages). Pour autant, il s’agit aussi pour lui d’un prétexte pour réfléchir à la difficulté qu’il y a construire un savoir historique sur la ville.
Ces représentations du passé sont en effet ici médiatisées par des supports visuels mais toute connaissance historique des villes emprunte un support qui peut tout aussi bien être un écrit, une photo, un dessin ou un objet. Dans tous les cas, la « réalité » du passé est une reconstruction. Même le photographe adopte, au sens strict, un point de vue. Et l’objet lui-même est privé de son contexte. Nous n’avons accès à l’histoire urbaine qu’au travers d’informations situées dans le présent, reconstruites ou mutilées. Et pour certaines, les témoins ont disparu.
Une autre difficulté de cette discipline réside dans la complexité de la ville. Comment restituer un savoir global compte tenu de la multitude d’approches possibles : spatiales, sociales, démographiques, industrielles, administratives, politiques, etc. ? Le problème est encore rendu plus ardu dans la mesure où chacune de ces représentations évolue en permanence. La question de l’échelle à adopter est un autre paramètre qui apporte une autre dimension, à la fois réelle et imagée, de la gamme des positions offertes à l’observateur et à l’analyste.

L’entreprise d’histoire urbaine ne peut donc être que partielle, voire partiale, au sens où elle est tributaire du choix des media qu’elle emprunte pour représenter son objet. Ne serait-elle donc qu’un discours si on suit le courant impulsé par le « tournant linguistique » ? L’auteur du site émet l’hypothèse qu’un certain savoir cohérent est néanmoins possible, notamment au travers de la cartographie. Cela peut aussi signifier qu’il n’existe pas une représentation mais une multiplicité, chacune portant une part de vérité.

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