Thursday, November 12, 2015

Lecture critique : vers un nouveau tournant de l'histoire spatiale ?

Gregory I.N. (2003) A Place in History: A guide to using GIS in historical research. Oxbow: Oxford, chap. 6 & 8

White, Richard (2010), "What is spatial history?, Spatial History lab, Stanford University, 1 February 2010.

Ethington, Philip J. (2007), Placing the past: Groundwork' for a spatial theory of history", Rethinking History, Vol. 11, no. 4, pp. 465-494

Mostern, R. and Johnson, I. (2008) "From named place to naming event: creating gazetteers for history", International Journal of Geographical Information Science, 22, pp. 1091- 1108


Les avancées technologiques des dernières décennies nous permettent-elles de constater un changement significatif dans le rapport entre l’histoire et la géographie, dans le traitement des données historiques ? Peut-on parler d’un tournant dans l’histoire spatiale ?

La première question à se poser est celle de la définition même de l’espace et de l’histoire, et avant encore de la notion de temps. Partant du général au particulier, il importe de comprendre que le temps n’a pas d’existence propre, en cela qu’il ne s’agit que d’une notion qui permet de mesurer un rapport dans le mouvement. Ethington oppose ainsi l’idée du temps naturel, tel que défini par les physiciens, au temps vécu, dont nous avons la perception. Il cite Bergson, Dilthey et James pour affirmer que la notion de présent n’est qu’une composante de la conscience. Partant de là intervient la définition de l’espace.

White cite à ce sujet la triade de Lefebvre, philosophe et géographe français, qui pose la triplicité de l’espace : la pratique spatiale, ie notre occupation de l’espace par le mouvement ; les représentations de l’espace, par des plans, des conceptions, la création, en somme, de l’espace à travers lequel l’homme évolue ; les espaces de représentations, enfin, attachés à un fort symbolisme. Ethington reprend aussi cette triplice de Lefebvre comme un constituant primordial de la définition de l’espace. White affirme cependant que les éléments de cette triplice ne sont pas imperméables les uns aux autres. Il s’oppose de plus à l’approche traditionnelle de la triplice par les historiens, qui s’attarderait davantage sur le langage de la spatialité. Selon White, à toutes les questions concernant la construction des relations spatiales, il existe une réponse unique, celle du mouvement, qui serait le point commun entre tous les éléments. C’est pourquoi selon lui l’approche traditionnelle, par cartographie, est incorrecte, car les cartes et les textes sont statiques, par opposition au dynamisme intrinsèque de l’espace.

Ethington propose une distinction entre le lieu (place)  qui serait subjectif et lié à nos affects, et l’espace, objectif et scientifique. Les lieux sont créés par les actions humaines, qui transforment l’espace en événement, une affirmation reprise par Mostern et Johnson. L’histoire ne serait qu’une carte de ces lieux. Il pose l’utilisation du terme grec topos(oi) comme idéale pour définir l’intersection entre le lieu-temps vécu et l’espace-temps naturel.

Dans ce cadre, les GIS sont des outils pertinents, d’après White, en cela qu’ils permettent la communication entre les cartes et les autres éléments graphiques utilisés habituellement dans l’étude de l’espace, et les travaux qui en dérivent. Il cite l’exemple d’ArcGIS, qui, quoiqu’il ne bénéficie pas d’une prise en main ergonomique, permet le traitement parallèle d’une carte et d’une photographie aérienne. Les GIS rendent les cartes historiques commensurables avec les conceptions modernes de l’espace et de la cartographie.

Toutefois, il ne faudrait pas réduire les GIS au seul aspect cartographique. Des graphiques, des tableurs, et d’autres éléments de visualisation peuvent être traités par ce biais. La carte n’est que la manière de présenter les données traitées. Gregory expose d’ailleurs longuement, à travers une importante série d’exemples de travaux à ce sujet, comment les GIS nous permettent d’appréhender le potentiel de la cartographie pour bien comprendre le monde à l’échelle sociale. Il insiste de plus sur le caractère interactif des GIS, qui, au-delà d’une série de cartes et de texte qui les accompagneraient, comme dans le cas des atlas papiers, permettent une communication active entre l’auteur et l’utilisateur, en cela que ce dernier va pouvoir utiliser les outils ainsi mis à sa disposition pour voyager à travers le travail de l’auteur, créer lui-même ses propres cartes, graphiques, etc. et ainsi mieux comprendre ce qui lui est présenté. Selon lui, les GIS ont permis un changement dans le rôle joué par les cartes dans l’étude historique. Ce qui était avant un produit final est aujourd’hui un outil de la recherche.

White et Gregory s’accordent cependant à dire que le potentiel des GIS est loin d’avoir été entièrement exploité, et que la technologie connaît quelques points qui gagneraient à être améliorés. Si l’on ne peut toutefois pas parler d’une révolution, il est en tout cas pertinent de considérer les GIS et les GISciences comme un pas vers une nouvelle manière de faire de l’histoire.

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