Monday, November 2, 2015

Lectures critiques : Les HSIG : Importance, apports, limites

- Gregory I. N., Geddes A. ed., Toward Spatial Humanities. Historical GIS & Spatial History, Indiana University Press, Blooming & Indianapolis, 2014, introduction et conclusion. 

- Gregory I.N. (2003)  A Place in History: a guide to using GIS in historical research, Oxbow: Oxford, chap. 5 

- Knowles Ann, “"GIS and History" , Knowles A.K. ed., (2008) Placing History: How GIS is changing historical scholarship. ESRI Press: Redlands CA, 1-25




Les trois extraits d'ouvrages traitent des rapports entre les Systèmes d'Informations Géographiques (SIG) et l'histoire en tant que disciplines scientifiques. Les SIG sont des logiciels alliant des repères cartographiques et géographiques, développés pour des raisons commerciales, politiques, puis scientifiques. Alors que de nombreux chercheurs pensent que ce nouveau champ de recherche allait devenir indépendant, autant de ceux historiques que de ceux géographiques, les historiens s'intéressent – dans les années 1990, assez tardivement par rapport aux géographes – aux possibilités méthodologiques que peut proposer cet outil scientifique, et s'inscrivant dans un courant historique intéressé par la simplification de données statistiques, quantitatives, et massives. C'est d'ailleurs dans la revue Social Science History que les premières publications à ce propos apparaissent. Les considérations spatiales demeurent au centre des prérogatives historiques, mais I.N Gregory précise très rapidement, dès l'introduction, que cette base de données doit nécessairement allier trois aspects : « attribute, space, and time. »1. Son intérêt premier est bien de créer des cartes, rendu possible grâce à la « precision, that makes GIS so useful in many kind of scientific and statistical analysis »2, cohérent avec les critères scientifiques.

Chacun des trois extraits proposent ainsi différentes approches concernant les HSIG, apportant des informations théoriques ou pratiques, autour de ce que les chercheurs peuvent faire, mais aussi des limites d'un tel outil, qui se décline en différents logiciels. Cependant, pour Gregory, la plupart des logiciels commerciaux de SIG n'incluent pas de fonctionnalités temporelles, lacune primordiale pour l'historien. Il est vrai que la question temporelle concentre les critiques de ceux-ci : Gregory insiste largement dessus, tandis que les deux autres extraits, de Knowles et du couple Gregory/Geddes, se limitent à pointer ce biais. Dès lors, le premier auteur avance le concept d'analyse diachronique, que les historiens peinent à dépasser avec l'utilisation des HSIG. Il est difficile de parler d'histoire moderne avec, comme seul support, des cartes du XXI ème siècle, comme sur Google Earth. C'est pourquoi il est nécessaire de se munir de logiciels adéquats, pouvant répondre à des questions précises, comme « Has the object moved in the last two years ? », interrogations indispensables en histoire. Tout comme lors de la séance précédente, lorsque nous avons vu qu'il fallait penser transdisciplinarité, le HSIG est le fruit de cette union entre géographie et histoire, entre une science donnant un quand, et une autre proposant un où, concernant des champs de recherches disparates, hétérogènes, d'où la volonté, pour les chercheurs, de le laisser en dehors de champs disciplinaires propres.

Les limites d'un tel outil sont, à la base, autant sur les questions temporelles liées par l'utilisation historique, mais aussi sur sa précision et son degré de technicité. La précision de Google Maps ou Earth suffissent amplement à l'utilisateur lambda, non-scientifique, comme ce que nous avions remarqué lors de nos analyses critiques de ces deux logiciels il y a quelques temps ; cependant, le scientifique ne peut s'en satisfaire, autant pour définir précisément les espaces que le temps. Chaque carte évolue dans le temps, et il est donc nécessaire de contextualiser, par l'obtention d'une date précise, lors de laquelle la carte ou la photographie a été prise. En ce qui concerne l'espace, les clichés aériens ne sont pas tous de la même précision : les affinements changent selon les régions, les villes, les espaces ruraux. Les historiens doivent alors se satisfaire des aléas commerciaux et du privé afin d'utiliser ces logiciels, qui ne sont pas prévus et conçus pour eux. De plus, ces outils sont complexes, autant du point de vue méthodologique que technique, puisqu'ils font sans cesse référence au monde informatique, par la codification ou par la structuration de données infinies. L'apprentissage au maniement de ceux-ci demande du temps, alors que les logiciels eux-même sont très inscrits dans une période courte donnée, évoluant rapidement et pouvant même disparaître selon les aléas du marché.




Toutefois, il faut rapidement se rendre à l'évidence : une fois les lacunes temporelles résolues, les HSIG fournissent de nouvelles perspectives d'études, et permettent une ouverture sur des sujets plus complexes. Les possibilités se concentrent dans trois catégories, que sont l'organisation par le SIG de données inscrites dans l'espace et le temps, les « attribute data » et les « spatial data »3 définies par Geddes et Gregory, mêlant des sources et/ou des informations de natures différentes, mais complémentaires pour le chercheur. Ensuite, le SIG peut facilement se muer en carte, bien plus lisible pour la transmission de l'information au cœur d'une publication scientifique, mais aussi rendant possible la multiplication des illustrations rapidement et sans contrainte matérielle. Enfin, le SIG permet une différenciation des échelles et des ampleurs historiques, ainsi que des itinéraires, bien plus analysables qu'à l'écrit. Tout cela permet une meilleure lisibilité des sources et de leurs analyses scientifiques.

Enfin, concernant les sujets qui peuvent être renforcés par l'utilisation de HSIG, les trois extraits sont prolixes. Le duo Geddes et Gregory organise leur ouvrage en six essais, mélangeant la théorie – « on the deepening of the field into the applied scholarship that develops historiography. »4 à l'analyse de sujets précis, comme l'exploration des changements agricoles en Angleterre, Pays de Galles, et France par le biais de l'invention du chemin de fer par exemple. Ce sujet est d'autant plus pertinent par l'utilisation de HSIG, puisqu'il mêle une dimension spatiale primordiale – les lignes en elles-même, les gares, etc. - mais aussi des aspects temporels, autour des différentes dates des constructions de celles-ci, donnant une perspective historique plus forte à l'outil.




En conclusion, les extraits montrent bien l'importance des HSIG dans la pratique historique actuelle. Transdisciplinarité, clarté des données, spatialisation de l'histoire sont des éléments à prendre en compte lors de l'utilisation d'un tel outil, qui peut ingérer une quantité croissante de données, autant spatiales que temporelles, dimensions indispensables pour toute étude historique et scientifique. Il ne faut cependant pas oublier les limites du HSIG, qui n'est pas conçu pour l'historien, et donc dépourvu de données temporelles propres, d'où l'importation nécessaire de telles informations au sein de ce logiciel, mais aussi de la grande complexité de ceux-ci, modulable et précaire dans leur existence même. Ils requièrent une formation continue, indépendamment des cursus classiques, ce qui peut rétracter certains. Mais l'usage semble se démocratiser par la mise en place de tutoriels, de sites internet5, et par la pertinence même de tels travaux.






1I.N Gregory, A place in History : a guide to using GIS in historical research, Oxbow, Oxford, 2003, chapitre 5, 5.1
2A.Knowles, « GIS and History », in : A.Knowles (dir.), Placing History : How GIS is changing historical scholarship, ESRI Press, Redlands CA, 2008, pp1-25.
3I.N Gregory, A. Geddes, Toward Spatial Humanities. Historical GIS & Spatial History, Indiana University Press, Blooming and Indianapolis, 2014, Introduction.
4I.N Gregory, A. Geddes, Toward... ibidem p XV.
5Dont www.boîteaoutils.info est le plus connu en français.

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